Le paragraphe 3.4.4.3 introduit la répartition croisée du patrimoine comme moyen de répartir les ressources entre les classes d'actifs lors de l'optimisation des programmes de travaux pluriannuels. En fait, d'un point de vue conceptuel, la répartition croisée du patrimoine constitue en soi une approche de programmation complète qui fait appel à des composantes avancées de la gestion du patrimoine telles que la stratégie, la performance et le risque. Les paragraphes suivants traitent du concept de la répartition croisée des actifs et de son potentiel en tant qu'outil efficace pour atteindre les objectifs stratégiques des organisations routières. En outre, une procédure basée sur l'expérience internationale dans l'application de cette approche est décrite.
L'affectation croisée des actifs implique la répartition des ressources entre les programmes d'investissement routier afin de réaliser les objectifs stratégiques de l'organisme responsable (voir paragraphe 1.4.4.1). Un programme d'investissement peut se référer à tout programme de travaux destinés à maintenir ou à améliorer l'état du patrimoine, mais aussi à avoir un impact sur d'autres domaines de performance tels que la sécurité, la mobilité ou la durabilité. En général, les attributs des routes modifiables par des programmes d'investissement peuvent être désignés comme "moteurs de renouvellement / entretien" (AM4INFRA 2019).
La répartition des ressources entre les programmes d'investissement est une tâche complexe qui commence par la détermination des solutions optimales pour les actifs/questions opérationnelles. De nombreuses organisations ont mis en place des systèmes de gestion experts pour les chaussées, les ponts et la sécurité routière, mais seules quelques-unes d'entre elles disposent d'outils appropriés pour d'autres domaines. Étant donné que la gestion du patrimoine implique l'évaluation du niveau de service d'un réseau routier dans son ensemble, l'étape suivante devrait consister à répartir les ressources limitées entre les différents programmes d'investissement. Une question se pose immédiatement : quelles mesures (cohérentes) devraient être utilisées pour comparer les avantages des différents programmes entre eux ?
Au cours du cycle 2009-2012, le comité technique de PIARC sur la gestion du patrimoine a réalisé une étude visant à identifier les principales approches utilisées par les pays membres pour répartir les ressources entre les différents actifs (AIPCR 2012-b). L'étude a montré que la méthode de répartition la plus courante restait une répartition en pourcentage du budget basée sur l'allocation historique. Néanmoins, les organisations routières avaient déjà envisagé l'utilisation future de méthodes plus formelles telles que le classement des risques, la comparaison des indicateurs économiques (VAN, BCR et TRI) et l'analyse multicritère.
Par la suite, la mise en œuvre d'une gestion holistique du patrimoine dans un certain nombre de pays du monde entier a conduit à l'application de procédures de plus en plus sophistiquées pour coordonner, prioriser et optimiser toutes les activités de maintenance sur les différentes classes d'actifs, comme l'a constaté le comité technique de PIARC sur la gestion des actifs qui a travaillé sur le cycle 2013-2015 (AIPCR 2016). L'étude réalisée par ce comité cite un projet de recherche transeuropéen ENR connu sous le nom de PROCROSS, qui a identifié trois approches fondamentales de l'allocation croisée des actifs utilisées dans les pays européens (ENR 2012) : montante (bottom-up), descendante (top-down), et une combinaison de celles-ci. Selon le projet, ces trois approches sont valables et cohérentes pour trouver une solution optimale basée sur les conditions préalables existantes.
Une description générale des approches identifiées par PROCROSS est présentée au paragraphe 3.4.5.3.
Comme indiqué à la section 1.2., de nombreuses organisations routières dans le monde fonctionnent encore selon une structure en silo, dans laquelle les différentes questions structurelles et opérationnelles, comme l'état des chaussées ou la mobilité, sont gérées séparément, avec une prise en compte limitée des objectifs stratégiques de l'organisation.
Les effets négatifs de la pratique traditionnelle sont notamment (Deix. Alten. & Weninger-Vycudil. 2012) :
L'allocation croisée d’investissements sur les actifs du patrimoine a été conçue pour surmonter des inconvénients tels que ceux mentionnés ci-dessus. Contrairement aux méthodes traditionnelles, l'approche croisée des actifs permet d'analyser simultanément les avantages de différentes alternatives d'investissement pour chaque actif/question opérationnelle, afin d'atteindre les objectifs stratégiques de manière plus efficace et plus efficiente.
Comme mentionné précédemment, le projet PROCROSS de l'ENR a identifié les approches suivantes pour l'allocation croisée des actifs dans le cadre de la pratique de gestion des actifs en Europe :
Approche ascendante (Bottom-up) . Cette première méthode, décrite dans la figure 3.4.5.3.1, est fortement influencée par l'évaluation technique de groupes d'actifs / projets individuels. Habituellement, chaque groupe est analysé séparément par des systèmes de gestion spécifiques qui facilitent la sélection d'alternatives appropriées sous un certain nombre de conditions préalables monétaires ou non monétaires données.
Figure 3.4.5.3.1 Approche ascendante (bottom-up)
Le processus d'évaluation croisée du patrimoine n'est généralement pas effectué à ce niveau de demande, mais les résultats peuvent être utilisés dans un processus ultérieur de "coordination" entre les différents groupes. Ce processus rappelle les objectifs stratégiques et les cibles, et peut modifier de manière significative les solutions techniquement optimales trouvées à l'origine.
L'évaluation complète des besoins techniques du patrimoine constitue le principal avantage de la l'approche ascendante. Toutefois, cette caractéristique représente également sa principale faiblesse, car l'accent mis sur les aspects techniques ne laisse que peu de place aux objectifs stratégiques.
Approche descendante (Top-Bottom). Selon les définitions du PROCROSS, une approche descendante (figure 3.4.5.3.2) est basée sur des décisions centrales de haut niveau qui considèrent le réseau routier dans son ensemble. Elle suppose que la performance globale du réseau peut être améliorée si ses différents actifs/attributs sont traités simultanément plutôt que sur une base unique.
Figure 3.4.5.3.2 Approche descendante (top-bottom)
L'application d'une approche descendante exige une compréhension approfondie des performances du réseau, afin de donner la préférence aux programmes qui contribuent le mieux à la réalisation des objectifs stratégiques souhaités ou réalisables.
Une approche descendante fournit des critères clairs et complets pour l'analyse du patrimoine au niveau technique. Toutefois, cela n'implique pas que les considérations techniques soient appliquées dans la mesure nécessaire, ce qui augmente les risques liés à la réalisation des niveaux de service recherchés.
Approche combinée. Une approche combinée ascendante et descendante, telle que représentée dans la figure 3.4.5.3.3, implique l'évaluation des résultats techniques des actifs individuels en termes d'objectifs stratégiques de l'organisation. Une question essentielle pour cette approche est de concilier les exigences stratégiques et techniques.
Figure 3.4.5.3.3 Approche combinée (ascendante et descendante)
Dans l'approche combinée, le processus d'allocation d'actifs croisés se déroule généralement à un niveau intermédiaire entre le niveau stratégique et le niveau du projet. Dans cette approche, l'un des principaux objectifs de la programmation des travaux consiste à harmoniser les objectifs stratégiques et les spécifications techniques en trouvant un point optimal qui maximise la réalisation des objectifs stratégiques tout en réduisant autant que possible le risque associé au niveau réel de service fourni. Ce n'est pas une tâche facile car les projets ne sont souvent pas conformes aux critères stratégiques car ils résultent d'un processus de hiérarchisation/optimisation qui repose principalement sur un simple classement et non sur une analyse des performances à l'échelle du réseau.
Le rapport final du projet PROCROSS (ENR 2012) comprend une procédure spécifique d'allocation croisée du patrimoine, qui est basée sur l'approche combinée décrite ci-dessus et comprend les activités suivantes :
Une procédure de répartition du patrimoine est également prévue dans le rapport 806 du programme national de recherche coopérative sur les autoroutes des États-Unis (Maggiore). Ford. CH 2M Hill. High Street Consulting Group & Burns & McDonell. 2015). Dans ce cas, la procédure est composée des tâches ci-dessous :
A partir des listes ci-dessus, on peut conclure que les deux procédures sont assez similaires, même si la méthode PROCROSS ne comporte pas d'étape de comparaison des effets des niveaux de financement.
Une autre procédure de répartition du patrimoine est présentée ci-après. Bien que, d'une part, cette procédure repose sur les deux méthodes décrites précédemment, d'autre part, elle suppose que l'organisation a élaboré un cadre de performance (voir section 1.4), de sorte que les éléments suivants sont déjà disponibles :
Compte tenu de ce qui précède, une procédure cyclique d'allocation croisée des actifs peut être décrite comme le montre la figure 3.4.5.4.
Figure 3.4.5.4 Process cyclique pour l'affectation par approche croisée
Les étapes illustrées dans cette figure peuvent être décrites comme suit :
Évaluation des performances actuelles. Elle implique de déterminer les progrès de l'organisation dans la réalisation des objectifs stratégiques définis dans le cadre de performance. Toute différence représentera un écart de performance qui devra être comblé par les programmes d'investissement proposés.
Développement de programmes individuels. Les travaux visant à améliorer l'état du patrimoine individuels ou tout autre attribut du réseau routier sont identifiés à cette étape en utilisant des systèmes de gestion spécialisés pour chaque actif/question opérationnelle (chaussées, ponts, sécurité, etc.) Les programmes qui en résultent visent à minimiser le risque de ne pas atteindre les objectifs proposés pour chaque domaine de performance.
Formulation des alternatives d’arbitrages croisées. Combine les projets sélectionnés pour les différents programmes afin de couvrir tous les domaines de performance avec un seul programme de travail. Définir également des programmes alternatifs contenant des options de projet différentes de celles sélectionnées à l'étape précédente afin que les préférences indiquées dans le cadre de performance puissent être prises en compte lors de l'allocation des actifs croisés dans le cadre des contraintes budgétaires.
Évaluation du programme. Désigne un processus décisionnel qui devrait être appliqué pour identifier, à l'aide de divers critères, le programme croisé qui contribue le mieux à atteindre les objectifs spécifiés dans le cadre de performance. Il s'agit de comparer les projets en fonction de leurs avantages, qui sont normalement exprimés dans des unités différentes selon le domaine de performance visé par chaque projet. Ainsi, tous les avantages devraient être normalisés (c'est-à-dire convertis en une mesure commune) pour permettre la comparaison.
L'expérience internationale en matière de programmation par approche croisée des investissements sur actifs comprend l'application de techniques de prise de décision telles que les suivantes (Proctor & Zimmerman. 2016 : Porras-Alvarado. Han. & Zhang 2014).
L'analyse multicritère peut présenter divers avantages. Premièrement, les priorités de l'analyste sont spécifiquement déclarées par l'attribution de pondérations aux différents domaines de performance. En même temps, les objectifs du décideur sont clarifiés tout en les traduisant en critères d'évaluation des alternatives d'intervention. En outre, le système d'évaluation des alternatives est transparent puisqu'il laisse une trace claire des pondérations et des critères appliqués. Enfin, l'analyse multicritères est flexible car elle permet d'ajouter des critères et d'utiliser des critères disparates.
Toutefois, elle présente également des inconvénients :
i) les coûts et les risques ne sont pas explicitement pris en compte dans l'analyse ;
ii) les résultats sont très sensibles aux valeurs attribuées aux poids, de sorte que ceux-ci peuvent être déterminants pour les solutions de rechange choisies.
L'optimisation croisée du patrimoine implique l'utilisation de procédures mathématiques récursives pour trouver le niveau maximum des bénéfices qui peuvent être produits par un ensemble donné d'investissements soumis à des exigences de performance technique et à des contraintes budgétaires. Son application implique l'utilisation d'un logiciel capable d'évaluer un nombre considérable d'options (des centaines, voire des milliers) pour trouver celle qui procure les plus grands avantages. De cette façon, l'optimisation croisée des actifs génère des résultats plus sophistiqués et quantifiés, mais elle nécessite des données étendues sur tous les projets candidats évalués.
Analyse de scénarios. Cette dernière étape est équivalente à la dernière étape de la procédure d'allocation croisée du patrimoine proposé dans le rapport 806 du NHCRP américain (Maggiore. Ford. CH 2M Hill. High Street Consulting Group. & Burns & McDonell. 2015). Comme ce dernier, il consiste à déterminer les effets de divers scénarios d'investissement et niveaux de financement sur les performances du réseau routier, à la fois dans son ensemble et en considérant chaque actif/élément opérationnel individuellement. Les résultats d'une telle analyse peuvent être utilisés pour identifier les besoins des parties prenantes concernant les différents domaines de performance et la budgétisation nécessaire pour répondre à ces exigences, et éventuellement pour modifier de manière appropriée les objectifs de performance utilisés.
Enfin, il convient de noter que la procédure décrite ci-dessus est basée sur l'approche combinée pour l'allocation croisée des actifs décrite dans la figure 3.4.5.3.3, car elle commence par l'analyse individuelle de chacun des différents domaines de performance, puis elle combine les projets candidats des différents programmes pour obtenir une solution orientée vers la réalisation des objectifs de performance de l'organisation routière.